Chapitre VIII :

Un son mou et un craquement sec accompagna le choc d’un corps sur le ponton enflammé du « Ciel d’Orage ». Comme un sac de chair contenant quelque objet précieux, il a un ultime mouvement dû à l'élan de la chute et s’immobilisa enfin. La grosse patte droite glissa le long de son ventre jusque dans un foyer de poix où les poils et la peau entamèrent une lente combustion, dégageant une odeur de cochon grillé. Andron abat une hache sur le bras en train de griller de Lord Oleg Orkmont et jette le demi bras par-dessus le bastingage, sur le pont aux pieds de Ludès en l’accompagnant d’un rire tonitruant.


Il ne goûte que peu la plaisanterie, mais il s’empare du bras, et d’un geste sec en arrache un doigt pour dégager un sceau. Remontant le long du pont, Ludès pousse du pied des corps déchirés, et criblés de flèches, tous portent les couleurs Greyjoy et Orkmont. Le port en est jonché, les débris brûlant des cinq boutres flottent jusqu’à l’horizon, passant entre les coques à peine éraflée des bateaux Laansidh. Le sergent d’arme d’Edric donne le sceau de la main à la main à Ser Yan Edric dont le visage maculé de sang ruisselle d’une sueur victorieuse, mais furieuse. Le chevalier se lève du banc sur lequel il prenait un peu de repos et s’avançant vers Ludès, croise le regard d’un agonisant. Un hoquet de sang répand le liquide carmin sur le bois du pont, ignorant que ses jambes ont été arrachées par le projectile d’une baliste, il tente de se remettre debout, ne comprenant pas pourquoi il ne peut y parvenir. Yan lève son épée, la pointe vers le bas, et traverse le crâne du malheureux, tout autant que le pont.

« Achevons la boucherie jusqu’au dernier porc…»


A l’autre bout du quai, Flore, entourée par Cast, Jub et Marc’h, inspecte les coffres sauvés des eaux par Nedy et Kléo. Les soldats Laansidh ont déjà entamés l’entassement des corps, tandis ce que deux d’entre eux s’occupent de couper les mains gauches et de les compter scrupuleusement.

Kraken mâchouille un organe indéterminé, à même l’abdomen d’un jeune homme au visage très doux qui gémit doucement lorsque le lézard tire un peu pour arracher sa pitance.

Le Sceau en main, Edric traverse les quais pour arriver au niveau de Flore. Il lui tend la bague et lui ayant remise se contente de lui dire :

« Et maintenant ? «

Ser Yan Edric ne répond pas tout de suite. Il regarde le sceau des Orkmont couler à pic, puis s'adresse à Flore avec un flegme admirable.

"C'est en sachant que ce sceau était à la fois une monnaie d'échange, un moyen de camoufler l'extermination de la délégation Greyjoy et une source de revenu inespérée que vous l'avez jeté à l'eau bien entendu ? Non je n'ai reçu aucune instruction vous concernant autre que celle de vous protéger, mais parfois, j'avoue, je me surprends à le regretter..."

Yan perd son flegme, mais pour un sourire mauvais, franchement mâtiné de rancoeur.

"Bien Ser. Nous prendrons le premier bateau disponible pour rejoindre la côte et nous inquiéter de ce qu'il advient de votre frère et des complots ourdis par votre Oncle. Avant que de partir je vous rappellerais mes paroles. Même votre père a dû mériter mon respect, et je lui parlais comme je vous parle. Je continuerais à défendre votre famille peu importe ce que vous pourrez penser de moi. Mais jusqu'ici, regardez moi, regardez nous, nous baignons dans les conséquences de vos décisions aventureuses."

Il fait signe aux hommes de s'éloigner, de sorte qu'il ne reste plus que lui et Flore

"Votre père a déployé des trésors de diplomatie pour s'allier à Balon Greyjoy comme son égal, et vous avez massacré les émissaires de son successeur. C'est une méthode comme une autre, un pari pas plus cruel qu'un autre, mais c'est d'ici, cerné par la mer, que vous en assumerez ses conséquences, seule."

Ser Yan Edric n'aura rien rétorqué, il se sera contenté d'un haussement d'épaules. Jusqu'au bout il n'aura vu en Flore qu'une adolescente capricieuse ce qui fut certainement le pire de ses traits, et certainement parce qu'elle est une femme.

L'entretien avec Ludès aura été court. Ce dernier se trouvant manifestement soumis à des ordres contradictoires tente pendant un temps de couper la poire en deux sans créer de dilemme. Mais la rhétorique de Flore finit par le convaincre que son devoir, et celui de ses hommes est de rester auprès d'elle pour la défendre. Ser Edric est bien assez valeureux pour pouvoir rentrer seul auprès d'Ebon, et seul, il attirera moins les regards.


"Je m'inquiète cependant pour votre sécurité Ser, pour tout vous dire, les informations avec lesquelles nous sommes partis de Laemoran et qui concernent les Laansidh ne sont pas cohérentes avec leur attitude. Soit on nous a volontairement trompé, soit ce sont nos hôtes qui nous tompent. Ser Edric nous a transmis que La Matriarche prévoyait de contracter une alliance nouvelle, profitant de la guerre à l'Est, pour retrouver le rôle de suzerain sur les Laymore. Je n'étais pas autorisé à vous en parler pour l'instant pour ne pas troubler votre esprits avec des doutes malheureux, mais puisque je reste et que Ser Edric s'en va, je vous livre l'essentiel de ce que je sais. Au début nous avons cru que cette alliance nouvelle concernait les Blackstone et les Dredmore, et c'est pourquoi votre père vous demandait de vous rendre auprès de cette histoire de poulpe géant tandis que votre frère s'assurait de la fidélité des Blackstone."

Ludès s'incline légèrement

"Serviteur..."

Songeuse, Flore parcoure des couloirs qu'elle commence à connaître, suffisamment du moins pour rester perdue dans ses pensées tout en arrivant au bon endroit. Ses réflexions sont troublées par des bruits d'ablutions et des rires provenant de la salle d'eau. La porte est poussée presque complètement mais pas fermée, il reste un mince fil de lumière. Ayant l'impression de reconnaître l'une des voix, Flore s'approche et jette un regard rapide bien plus inquiet que voyeur. Cependant c'est une certaine forme de stupeur qui la saisit lorsqu'elle voit, profitant de l'eau bien chaude d'un bain parfumé dont les effluves parviennent jusque dans le couloir, Martin, se chamaillant à coup de serviettes avec... Avec...

Avec Enora...

Ils rient de bon coeur et nulle ambiguïté n'est perceptible, mais l'ensemble des conséquences potentielles se déversent soudainement dans l'esprit de la jeune femme.

Il lui suffirait de pousser la porte...

Martin saute hors de l'eau et complètement blême, bredouille.

"Ser je... Je... Ser..."

Il sort de la pièce sans un mot en courant, ne prenant même pas la peine de ramasser ses vêtements. Enora, languide et innocente, fait comme si de rien n'était. Au fond du couloir, on peut entendre les hurlements de servantes ayant croisé Martin nu comme au premier jour, courant plus vite que jamais.

Flore va pour se retirer mais Enora, passant sur sa peau blanche un linge frotté à de la saponia qui laisse une sorte de mousse, la retient d'un mot.

"Langres..."

Enora soutient le regard de Flore, affichant un sourire agréable et enjoué mais lèvres fermées.

"Toujours sur la défensive comme un chat sauvage... N'es tu pas plus chez toi ici qu'à Laemoran ? Ne te sens-tu pas choyée, écoutée, obéie ?"

Ses yeux enjôleurs sont animés d'une étrange passion, les mots roulent et grondent dans sa gorge.

"...Nous pouvons t'offrir tout ce que tu désires, nous pouvons faire de toi ce que tu voudras...Notre sang coule en toi, nous t'appartenons... Alors...Pourquoi nous craindre ? Pourquoi te méfier ? Cessons les jeux oui... Abandonne les craintes dont t'alimentent tes gardes du corps mâles, embrasse ta supériorité, assume la...."