Chapitre VII : Vive le Roi

" Hum ? "

Flore se tient les deux coudes sur le rebord du bain, la poitrine à moitié immergée. Elle partage l'avis de Ser Yan sur le gaspillage que représente les pétales de rose. Avoir de l'eau chaude est déjà l'acmé de son bonheur. D'un autre côté cela ne la surprend pas vraiment d'Enora. La jeune fille est tellement délicate. Elle lui rappelle Ivory, c'est sans doute pour ça que sa compagnie est si réconfortante.

Car, autant être honnête, sans être vraiment frappée par le mal du pays, Flore est loin de se sentir chez elle. Ses amis et ses habitudes sont restés au château.

" Ne le gâte pas trop, il se laisse trop facilement choyé et devient fainéant. "

Flore se demande si elle ne risque pas de finir comme lui à force de manger et prendre des bains.

" Kraken n'a pas encore vraiment fini de grandir. Il est comme Martin...
Je ne savais pas qu'il y en avait qui pouvaient vivre dans la mer. Ce serait bien d'avoir le temps de voyager, de vraiment voir le monde. Si je n'étais pas une Laymore c'est ce que je ferais. Monter une petite compagnie de mercenaires et aller de contrat en contrat.

Et toi, Enora, si tu avais vraiment le choix, que ferais-tu ? "

" Ah ? "

Une vie d'érudition, Flore a dû mal à imaginer plus épouvantablement ennuyeux.

" Je dois aller les visiter. Cela m'intéresse mais je ne crois pas vraiment aux prédictions. Enfin, je crois qu'il est possible de deviner certaines choses. Quand tu lances un caillou en l'air, il a tendance à retomber... Mais y'a des facteurs trop difficiles à prendre en compte. "

Flore change de sujet.

" Il y a quoi d'intéressant à visiter sur l'île ? Vous organisez des chasses parfois ? Les réunions du matin au soir avec par-dessus les leçons d'Erayne, cela commence à me rendre folle. Au fait... tu as une idée de ce qu'elle pense de moi ? Quand elle me regarde, elle fait toujours cette petite moue... "

Flore plonge ses bras dans l'eau et se redresse de trois quarts pour faire un regard à la fois morne et hautain accompagné de la fameuse "moue à la Erayne".

Flore admire le tatouage. La politesse aurait voulu qu'elle se renseigne un peu sur cette histoire de dragon, cerf et... la troisième entité qu'elle a déjà oublié. La soeur ? Elle avait toujours cru qu'ils allaient toujours par trois à se fier aux diverses représentations croisées un peu partout depuis son arrivée sur l'île.

Manifestement, non.

Elle soupire en pensant à son prince bûcheron, et peut-être cousin, targaryen. Il serait du genre à s'en faire tatouer un dans le dos. Comme c'est étrange de se dire qu'on a du sang de dragon. Et pénible de ne pas vraiment pouvoir s'en vanter. Lenora serait drôlement impressionnée de voir le coup de la main dans le feu.

Eh Eh Eh !

Et Joffrey s'en pisserait dessus de la voir se tenir au milieu de son palais incendié, l'arme à la main. Marchant vers lui telle la mort incarnée pour l'ouvrir en deux.

" Ah ah ah ! "

Elle s'arrête de rire tout haut et quitte ses rêveries quand elle sent Enora derrière elle occupée à faire du nettoyage.

" Des bateaux valyriens ? J'aimerai voir à quoi ils ressemblaient. On se sèche et on va lui demander, tu es d'accord ? "

Elle s'extirpe de l'eau et se saisit d'un linge pour se frotter énergiquement. Elle enfile la tunique choisie parmi celles mises à sa disposition. Le modèle le plus simple a eu sa faveur.

" Tu m'as entendu en parler avec Yan, pas vrai ? Il aurait fallu que tu vois ce harpon. Grand comme ça !! "

Elle donne la largeur avec les mains.

" C'est Kraken qui l'a trouvé le premier... Il a un flair pour ça. "

Flore s'accroupit devant son lézard et le papouille.

" Mmm ? Il est fort mon Kraken... Des petites quenottes qui peuvent tuer n'importe qui... oh oui ! "

Elle se relève.

" Oui, d'ailleurs, fais attention à sa salive si tu ramasses un de ses jouets. On y va ? "

Flore a aussi un petit coup d'oeil ronchon vers Enora. Cela ne lui plait pas qu'elle soit utilisée pour mettre mal à l'aise quelqu'un. Après, à en juger par la chevelure éparse, elle devine que l'intendante a dû jouer il n'y a pas si longtemps. La question est... avec qui ?

" Vous n'avez pas besoin de vous excuser, nous sommes celles qui nous imposons pendant que vous travaillez. Je souhaiterai avoir accès à la bibliothèque et Enora m'a appris que vous aviez le seul exemplaire de clef. Pourriez-vous me la confier le temps d'une visite ? "

Elle remarque les livres de compte et ajoute.

" J'aimerai aussi que nous convenions d'un entretien pour discuter de certains budgets et des fonds prioritaires. J'ai besoin d'y voir clair là-dedans. "

En fait, Flore se demande d'où vient le peu d'argent de l'endroit. Les ressources sont si restreintes. Laemoran est là pour entretenir la flotte, mais le reste... Evidemment, quelques pillages pourraient régler des problèmes pécuniaires.

Flore récupère la clef.

" Un résumé devrait aller. J'aimerai autant que possible éviter devoir faire perdre du temps au conseil avec des questions sans importance. Je compte donc sur vous pour m'y préparer et assouvir ma curiosité sur certains points. Enfin.. nous verrons cela plus tard. Nous ne vous dérangeons pas plus...

Tu viens, Enie ? "

Elle remercie Erayne d'un sourire sans la moindre arrière pensée avant d'entraîner Enora à sa suite afin qu'elle la guide. Mort Amer n'est pas immense, mais elle a déjà oublié où se trouvait la fameuse bibliothèque.

Ce n'est que quelques couloirs traversés plus tard que Flore ose poser la question qui lui brûle les lèvres.

" Alors ! Je me doutais bien qu'Erayne savait se détendre et je suis sûre que tu connais le nom de tous ses amants. Raconte moi tout ! "

Il est évident qu'elle suppose à son intendante un tempérament de feu qu'un seul homme serait bien incapable de satisfaire.

Le visage de Flore qui n'est déjà pas très coloré vire au blanc. Les yeux ronds, elle fixe Enora sans en croire ses oreilles.

" Elle couche avec lui... Ah, le mesquin ! Il s'est bien gardé de me parler de ses petites habitudes. Mfff. Je l'ai rencontré son bûcheron, je peux comprendre qu'il lui plaise, on ne croise pas des hommes comme lui tous les jours. "

Qu'il soit déjà pris par Erayne la vexe un peu. Elle n'avait pas imaginé une seconde qu'il puisse être le prince d'une autre, encore moins l'amant. Mais quoi de plus naturel au fond ? Lui en vouloir serait idiot.

Idiot mais inévitable.

" La famille Blackfyre, tu dis ? Je ne suis pas très calée en généalogie. "

Sans être experte, elle devine quand même que c'est une famille de la maison Targaryen. Feu noir, dragon noir...

" C'est un descendant légitime jusqu'à quel point ? Les Blackfyre sont aussi immunisés au feu ? Pas que je l'imagine en parangon de guerre notre gardien de cimetières, mais je suis curieuse de savoir à quel point il pourrait être recherché. "

Se disant cela, et par une curiosité qui veut qu'elle tripote tout ce qui est argenté, elle tire l'antique drap noir pour admirer la figure qui se cache en dessous. Si on écoute Erayne, Mort Amer serait totalement dépouillé de décorations et n'aurait que quelques meubles du noir le plus déprimants.

" Non, ne t'en fais pas pour le bûcheron. Et puis nous ne partageons pas ce genre de choses. J'ai juste été surprise, il était la dernière personne à qui je m'attendais. "

Elle tripote les traits du fameux Feyn sur lequel les livres de Laemoran sont si avares de détails.

" Je connais son nom, cela fait de moi quelqu'un sans rivales, non ? Des capacités prophétiques, dommage que ça ne lui serve pas. C'est un don qui ne doit pas pouvoir se contrôler.

Qu'est-ce qui s'est passé avec Feyn ? Je le sais aïeul de notre bon mestre, et la façon dont tout ce qui le touche fut à chaque fois minutieusement évité dans les archives que j'ai pu lire laisse imaginer une situation un peu compliquée.

Oh, et euh.. désolée pour le linge. Je crois de toute façon qu'il n'allait plus tenir très longtemps. "

Enora entrouvre sa superbe bouche avec lenteur, choisissant ses mots.

" L'Histoire de Feyn Laymore, et de son frère Trystan, nous est parvenu dans une version que ton père pourrait qualifier de... Trahison. Veux tu vraiment l'entendre ?
- C'est plutôt toi qui devrait te demander si tu souhaites vraiment la raconter... "

Enora rit de façon cristalline.

" Après, toutes les histoires de famille ont leurs cadavres.
- Je ne risque rien... Si tu devais perdre la raison et m'agresser d'une façon ou d'une autre, tu disparaitrais en mer... "

Enora laisse son regard se planter dans celui de Flore.

" Il y a toujours un pouvoir à  retirer d'un savoir, même si ce savoir doit entacher un peu la mémoire de ta famille. Et puis la vérité n'a rien de si terrible... Si ce n'est qu'elle remet en question la succession sur le domaine de la Pointe de Fer au sein de la famillle Laymore... Alors ? Je commence ?
- Nous ne nous targuons pas d'un passé millénaire d'une grande noblesse. Oui.
- Sache tout d'abord que Khay n'est pas le frère de ton père mais son cousin. La lignée de Khay est haïe de celle de ton père aussi n'y fait-on jamais référence. C'est interdit... Si ton père apprenait que j'ai parlé de tout ceci, je serais brûlée vive. Tu te souviens certainement de Gawain...
- Oui, bien sûr.
- Le héros de ta famille... Celui qui épousa Jessica Laansidh et qui devint son propre suzerain. Il eut deux fils de Jessica. Trystan et Feyn, des jumeaux. La nuit de leur naissance, Jessica eut une visite des Soeurs qui la prévinrent que Trystan provoquerait la chute de la Maison Laymore sauf si on pouvait le séparer de son frère. Gawain ne voulu pas tuer un de ses fils et il le confia aux soins des Soeurs. Il ignorait qui il était et ne devait jamais voir son frère ni rejoindre la côte. "

Flore croise les bras et l'écoute tandis qu'au loin des murmures se font entendre : " ...Je ne sais pas, je la cherche toujours...Elle était avec ma soeur... Si vous la voyez, dites lui que c'est extrêmement urgent ! "

Enora tend l'oreille avant de reprendre tandis que Flore a un coup d'oeil discret pour le couloir.

" Pendant des années, tout fut fait comme Gawain le voulu. Mais au jour de sa mort, Jessica, dans un instant de faiblesse maternelle, lui révéla l'existence de son frère. Il voulut le voir, il voulut le connaître... Si bien qu'il fut impossible de lui refuser... Alors les Soeurs menèrent jusqu'à  lui Feyn, ou ce qu'il était devenu, un apprenti des Soeurs, un serviteur du culte, portant sur son visage une barbe fournie l'empêchant de reconnaître son reflet sur le visage de l'homme qu'on lui présentait comme le Seigneur des lieux. Trystan devint étrange du jour où il vit son frère. Il lui révéla tout de son passé, il l'invita à  diriger à  ses côtés. Feyn n'avait jamais été préparé à  cela mais il s'avéra un excellent chancelier. A tel point que Trystan finit par en nourrir de la jalousie... Il se persuada qu'il existait un complot ourdi par les soeurs pour le remplacer par son frère. Il fit venir toutes les Soeurs Grises et leurs arracha les yeux. Il fit venir toutes les Soeurs Blanches et les viola. Il fit venir toutes les Soeurs Noirs et leur coupa la langue. "

Flore hausse un sourcil.

" Horrifiés par les abominations qu'il commettait au nom de son propre pouvoir, les chevaliers de Trystan commencèrent à  murmurer qu'effectivement son frère, bon, juste et sage, ferait un meilleur seigneur que lui. Lorsque Trystan le découvrit, il provoqua en duel le capitaine de la garde d'Adonya, la plus puissante des Soeurs Noirs. Contre toute attente, il le battit et le laissa pour mort dans les bois. Mais l'écuyer du capitaine, enragé, poignarda Trystan alors qu'il quittait les lieux du duel. Il mourrut de ses blessures sans témoin. Adonya était devenue une menace pour Trystan depuis longtemps aussi en avait-il fait sa chose. Avillie, attachée dans sa chambre, lui servant d'exhutoire à toutes ses frustrations. Aussi quand il s'avéra qu'elle était enceinte, personne ne pensait qu'elle garderait l'enfant de son tortionnaire. Et pourtant si, car elle voyait comme un devoir d'entretenir la lignée de Laymore. Clarissa Laansidh le voyait tout autrement. Elle séduisit Feyn et usa de la sorcellerie pour être féconde. Elle enfanta un enfant à son tour. Celui d'Adonya nasquit le premier, Khard. Mais celui de Feyn et de Clarissa avait la légitimité du coeur. Les chevaliers aimaient Feyn, il était bon. Il avait beaucoup contribué au redressement de Mort-Amère, à la protection de notre religion. Il était le lien entre nos deux familles comme jamais un autre Seigneur de Laymore ne l'avait été. Mais Feyn était si bon et loyal qu'il refusa d'éclipser les droits de son neveu. Il lui accorda donc sa protection. Son geste fut pris pour de la faiblesse par ces chevaliers qui la veille l'admiraient. Alors que Khard allait avoir dix ans, Feyn donna un banquet en son honneur. Il fut tout simplement empoisonné et mouru en se tenant la gorge au milieu de tous ceux en qui il avait confiance. Clarissa, qui avait finit par s'éprendre de lui, raconte dans ses mémoires qu'il pleurait en mourant. Pleurait de s'être ainsi trompé à ce point. La suite... est d'une implacable logique. Clarissa et son fils Syrath furent condamnés à mort, mais ils s'enfuirent et se cachèrent dans les îles de Fer pendant longtemps. Puis l'un des fils de Syrath décida de revenir réclamer son droit à exister et à porter le nom des Laymore. Jensen. Son cousin, Lleweylinn, lui refusa ce droit, mais accepta que le fils de Jensen soit reconnu comme Laymore et retrouve sa place comme pupille. Khay. Qui fut élevé avec Leuwon, comme son frère. Mais il n'était plus question de faire mention de Feyn ou de sa lignée. Khay fut adopté par Lleweylinn afin de faire disparaître cette histoire.
- Ce n'était pas une si mauvaise idée.
- Les Laansidh refusent d'effacer de nos mémoires celui qui aurait dû être le véritable Seigneur de Laymore. Aujourd'hui ce souvenir fait moins mal, parce que Leuwon a fait beaucoup pour effacer les vieilles rancoeurs. Mais il a toujours refusé lui aussi de parler de Feyn.
- Il n'a pas été Seigneur parce qu'il ne l'a pas voulu si j'en crois ce que tu me racontes.
- Il aurait pu être le régent de son neveu et diriger tout de même pendant un temps. Refuser de destituer son neveu, le fils d'un fou sanguinaire, voilà  quelle fut son erreur. "

Enora gronde légèrement... Sa voix est chargée de passions. Flore continue :

" Il aurait pu beaucoup, les opportunités n'ont pas manqué. Enfin, on ne va pas refaire l'histoire. Et cela ne change pas ma vision de la sucession actuelle. "

Enora marque une longue pause. Hésitant encore.

" Pas la tienne non... Mais celle d'une autre personne, si.
- Khay ?
- Je t'apprécie Flore. Je ne voudrais pas que tu me crois en train de te monter contre ton oncle.
- Non mais... nous parlons de Khay.
- Il existe une différence entre celui qui pense à trahir et celui qui trahit. Une dose de courage ou de folie en plus. Khay a trouvé cette dose de courage ou de folie, récemment. Ma mère ne voulait pas que nous en parlions. Elle voulait que tu te fasses ta propre idée.
- J'aurai pu faire marche arrière quand j'ai appris qu'Ebon avait été empoisonné. "

Enora tressaille.

" Empoisonné ? Vraiment ? Je pensais que ça n'était qu'une fausse rumeur comme il en court beaucoup. "

Flore hausse les épaules.

" Elle fut rapportée par corbeau. Oh, j'imagine qu'on peut ne pas leur accorder plus de foi qu'à la plupart des prophéties.
- Les corbeaux... Khay a envoyé un corbeau à ma mère, pour lui demander de te garder enfermée, mais de te traiter dignement. Il affirmait qu'il allait devoir prendre la succession de son frère, atteint d'une grave maladie. Je dois comprendre qu'il a menti sur toute la ligne ?
- Probablement... Mais tu vois, j'ai beau savoir ça... Quels choix ais-je ? Quelqu'un doit diriger. "
- Mais OU EST ELLE ! BON SANG ! ILS ARRIVENT ! "

Enora affiche un air soucieux alors que Flore continue :

" J'ai l'impression qu'on nous cherche. Ce que je veux dire, c'est qu'il vaut mieux parfois faire semblant de rien.. Si Ebon décède, je ne serais pas tendre. Il est plus qu'un frère pour moi... mais je ne peux pas le venger stupidement.
- Encore faut il qu'il soit vraiment empoisonné... Etant donné ce que Khay nous demandait... Peut être ton frère est-il quelque part dans une geole ?
- Je... n'ai pas vraiment l'intention de faire une différence entre les procédés utilisés.
- Alors ? Tu vas attendre ici de savoir de quoi il retourne ?
- Je ferais ce qu'il y a de mieux pour le domaine. Quitte à aller contre mon instinct. Leuwon m'a honoré de sa .. "

Rowena tire sur le rideau à l'autre bout du passage

" PAR LE DRAGON VOUS ETIEZ LA !
- Bonjour, Rowena... "

Flore quitte l'alcôve en se demandant qu'elle mouche a piqué Rowena.

" MAIS Bon sang ! On vous cherche partout depuis plus d'une heure. Cinq boutres Greyjoy viennent d'arriver au port !
- Vraiment ? Vous auriez du secouer Kraken. Cinq ?
- Oui cinq, Flambants neufs. "

Flore a une moue.

" L'émissaire, Oleg Orkmont, demande à parler au gouverneur ... Au nom de leur nouveau roi, Euron Oeil de Choucas...
- Je vous suis. "

Il ne faut pas longtemps à Flore pour être escortée par Ser Edric et ses hommes, puis par une escorte supplémentaire de soldats Laansidh, afin de la mener jusqu'au salon de reception... Une salle aussi grande que décorée de rouge et de vert, des Lionnes d'Or ou de bois sculptées un peu partout, notamment sur le fait des poutres maîtresses soutenant le toit.

Là. Assis dans le fauteuil réservé à la Matriarche, un homme corpulent, barbu, respirant le manque de diplomatie, portant un tartan aux couleurs passées et couvert sur la tête d'une tignasse hirsute, attends patiemment près de l'âtre, un coffre posé sur les genoux.

Il est entouré d'une dizaine d'hommes, tous des marins au visage marqué par la mer, le cuir tanné, les yeux perçants, le sabre bien calé contre la cuisse.

Flore entre dans la salle, toujours dans sa tenue décontractée post-bain. A son arrivée, elle lance un fort, un grand, un jovial :

" Bonjour ! "

Lord Oleg Ormont part d'un rire tonitruant, suivi par ses hommes. Il se lève

" Bien le bonjour Lady Pyke. C'est un beau château que vous avez là. Il tient le vent ? "

Rowena s'insurge.

" Comment osez vous ! Phoque aviné ! "

Oleg Ormont rit de plus belle tandis que Flore répond calmement.

Je n'ai pas supervisé sa construction, mais à l'oeil je dirais qu'il tient même la tempête. Du calme Rowena... Excusez là, nous n'avons pas l'habitude des invités par ici...
- La petite a plus de raison que toi Rowena... M'est avis qu'une bonne claque sur les hanches t'assouplirait l'humeur ! "

Rowena regarde Flore en posant la main sur la poignée de son épée. Flore la regarde en retour.

" Tu croiseras mon fer avant le sien. "

Oleg Ormont rit doucement. La gouverneur, aimable, poursuit.

" Vous avez été servi en vin, sieur Oleg ?
- Bien, bien, bien. Non, mais nous partons justement pour nous... Ravitailler. Dites moi, Mesdames, puisque nous en avons terminé avec les présentations, j'aimerais assez vous faire part du but de ma visite. Puis-je ?
- Si vous permettez, dès que je serais ravitaillé moi-même. "

Flore va se servir tranquillement un grand verre, peu pressée que de quelconques négociations dégénèrent. Oleg Ormont se rassoit et attend, faisant taire ses hommes d'un grognement.

" Alors... que nous vaut tout ce plaisir ?
- Hé hé hé... En fait c'est bien vous que je venais voir. Je porte le message de notre nouveau Roi de Fer, Euron Oeil-de-Choucas. Il réunit la flotte des Fer-Nés "

Flore hoche la tête et prend une gorgée de vin.

" Au nom de l'alliance qui avait été passée entre Balon Greyjoy et Leuwon Laymore, nous demandons à tous vos bateaux de guerre disponible de rejoindre la flotte afin d'attaquer le Conflant.
- Ah oui ? Ma foi, qui allons-nous attaquer ?
- Ce qu'il reste des terres du Nord. Les Loups de Winterfell sont occupés ailleurs. Plus rien ne nous lie.
- Ils sont occupés ailleurs, mais l'effort vaut-il la chandelle ? Pas que je sois contrre, ces derniers jours sont d'un ennui morbide, toute activité est bonne à prendre. "

Oleg Ormont ouvre de grands yeux.

" J'ai dû être imprécis, je m'en excuse... J'ai cru donner l'impression qu'il s'agissait d'un choix ? Vos bateaux ne peuvent pas se trouver à plus de cinq jours d'ici, leur ravitaillement serait problématique. Nous attendrons un jour de plus au besoin, les vents nous sont favorables, mais arrivé à  ce terme, votre flotte partira avec nous. Ais-je été assez clair cette fois-ci ?
- Je n'ai pas dit que je refusais, je souhaite simplement avoir une idée de l'action. Nous sommes alliés, non ?
- Oui. "

Oleg Ormont tend son coffre à Flore. Elle pose son verre pour l'accepter. Le coffret est d'une rare simplicité. Lorsque Flore l'ouvre, elle découvre à l'intérieur, un pendentif de bois flotté. Il a la forme grossière d'une dague pas plus longue que le pouce.

Flore sent qu'il y a un message sans arriver à voir lequel. Elle se demande la signification du pendentif, aussi sacré soit-il. Et bon sang, que c'est laid comparé à l'art valyrien.

" Qu'est-ce ?
- Un témoignage du sérieux de notre démarche. Même si vous êtes une île... De femmes... Il est temps de faire abstraction de nos anciennes querelles pour un butin commun.
- Cela me parait raisonnable. J'accepte ce témoignage et vous en remercie. J'espère qu'en retour vous accepterez l'hospitalité pour cette nuit. Il va m'etre difficile d'affreter quoi que ce soit dans l'heure. Vous vous doutez que vous n'étiez pas attendus.
- Nous dormirons sur nos bateaux, ne vous souciez pas de cela , nous ne les quitterons pour ainsi dire pas jusqu'au départ. La guerre nous attend, et avec elle des efforts. Il sera temps dès lors de prendre à votre tour votre part de... De... De femmes-sel. "

Flore a un sourire amusé.

" J'en ai bien l'intention. Soyez libre de profiter encore du confort du château, nous avons d'agréables source chaude. De mon côté je dois malheureusement m'occuper des détails qui entourent ce départ un peu précipité.
- Nous nous retirons Lady Pyke.
- Laymore. Lady Laymore. "

Oleg Orkmont se retourne.

" ...Encore mieux... Bonne journée Lady Laymore.
- Vous de même. "

Quelques instants plus tard. C'est une Rowena presque écarlate de rage à la respiration profonde qui fait se soulever avec une régularité arrondie le dessus de sa tunique rouge fendue presque jusqu'au nombril. A dire vrai elle porte une tenue de repos, des sandales et une épée bâtarde attachée dans le dos.

" C'est un foutu piège !
- C'est bien possible.
- Il n'est pas question de partir au large. Il leur suffirait de débarquer pour réduire l'île à merci, et nos bateaux en hautes mers seraient des proies faciles au milieu d'une flotte de Fer-Nés !
- Dis-moi si nous pouvons les attaquer avec ce que nous avons avant demain...
- Cinq boutres au port... J'en ai trois qui mouillent à proximité. Et deux autres qui pourront revenir d'ici deux jours. Avec ce dont nous disposons comme armement sur place nous neferont qu'une bouchée d'eux. Mais après...
- Oui, c'est toute la question.
- Lorsque les Fers-nés le sauront... "

Rowena serre le poing... Flore répond pensivement.

" Je ne comptais pas ouvrir les hostilités de cette façon.
- Comment ? Et surtout... Que faire ensuite ? Malgré nos défenses et notre courage, il n'a jamais été prévu de se défendre contre un milliers de bateaux et de fers-nés !
- J'envisageais de m'attaquer à leur maison les plus faibles. C'est simple, nous ne pourrons de toute façon pas survivre sans nous étendre. Il faut que les fer-nés aient un autre adversaire bien plus inquiétant que nous même. Penses-tu que la Matriarche approuve une démarche offensive ?
- C'était possible, avant... J'ai de mes yeux vu la flotte du Roi Euron... Il n'y a plus de petite Maisons... La Matriarche a certainement des informations dont nous ne disposons pas... Je les HAIS ! Saleté de... MALES ! "

Flore fronce les sourcils.

" Eh bien, espérons que le Noyé sourit aux audacieux. Je vais aller voir la Matriarche, mais je suis d'ores et déjà d'avis de prendre tous les risques.
- Peut-être... Peut-être aussi qu'il faudrait voir les Soeurs... Peut-être auront elle un conseil judicieux à nous prodiguer...
- D'accord. "

Flore n'a rien contre les usages si cela lui assure la détermination de Rowena et des autres. Lancer une guerre lui causera trop de tort si elle n'est pas suivie par la majorité des laansidh, un coup à ne pas se reveiller au petit matin.

" Dois-je faire mine de rassembler la flotte ? Ou le faire vraiment ?
- Rassemble-la. Et..
- Et ?
- Si nous les attaquons, essayons de faire en sorte de ne pas causer de dommages irréparables à nos nouveaux navires.
- Les Fers-Nés craignent nos talents de Sorcières, pas nos bateaux.
- Tu penses inutile de les préserver ?
- Je pense surtout que nous pouvons les faire craindre tout autre chose que nos bateaux, et les surprendre au port. Mais tu n'as pas répondu à mon autre question. Que faire après. Quand les Fer-Nés tourneront leur flotte ici ?
- Je te l'ai pourtant dit. Leur trouver des ennemis... Cela ne me gène pas de jouer les demoiselles en détresse. Pourquoi pas même un époux. Honnêtement, je suis prête à tout envisager.
- Alors va parler à la Matriarche. Elle sait ce qui se passe au delà  de la Pointe de Fer. On ne peut pas survivre sans alliés...Et vu d'ici il n'y a que les Lannister ou les Stark d'assez proche contre les Greyjoy.
- Un Lannister ne survivrai pas jusqu'à la nuit de noce...
- Tu comptes te marier ?!
- Je te l'ai dit, non ? "

Rowena se retourne, face à la fenêtre et fait quelque pas.

" ça n'est pas du tout ce qu'avait prévu la Matriarche...
- Et qu'avait-elle prévu ?
- Autre chose... Autre chose qui ne fasse pas de nous de nouveau les esclaves d'une lignée de mâles...
- Fais-lui confiance, car je suis née pour n'être l'esclave de personne.
- Le mariage que tu envisages est un esclavage. Nous n'avons pas besoin d'offrir nos ventres à  la semence d'un autre blason pour exister.
- J'y vois un partenariat. Je ne compte pas seulement me défendre contre les fer nés.
- Toi peut-être, mais ça n'est pas comme ça que le voient les autres Maisons... Si encore... Non...
- Mon point de vue est moins noble que le tien, n'oublie pas que je suis une batarde.
- Nous parlons dans le vent. Va voir la Matriarche, puis les Soeurs, je réunis la flotte. Nous verrons bien ce que les déesses veulent qu'il advienne de nous... "

Flore hoche de la tête et s'en va plier devant des avis plus vénérables que le sien.