Chapitre III : Tentation

Le Fromage bleu était une spécialité du pays. Légèrement moisi dans d'anciennes mines de sel, il avait un goût fort qui se mariait très bien avec légumes et viandes. Pour l'heure il était fondu et coulait doucement sur une belle série de côtes de porc, à mi chemin exact entre Ebon et Flore. Un commis de cuisine versait le fromage tout en faisant tourner la viande avec science. Un moment de silence admiratif avait investi la pièce de l'auberge où les deux nouveaux membres de la Maison Laymore prenaient leur repas en toute intimité. Le commis ayant terminé son ouvrage, il posa deux pichets de vin sur la table et s'en fut. A l'extérieur, le temps était d'un gris clair ayant tendance à se dégager. A l'intérieur, dans leur salle, un bon feu finissait de sécher leurs manteaux tandis qu'Ebon, vif comme l'éclair, arrachait une côte pour entamer de la dévorer. De l'autre main, il servait sa soeur en vin.



En détaillant la salle de cette auberge, la seule digne de ce nom à Crossings, on s'apercevait qu'elle contenait elle aussi son lot d'histoires. Au dessue de l'âtre, la tête d'un sanglier, énorme, grand comme un cheval, . Une inscription rappelle que la bête terrorisait la région et qu'elle fut abattue par Trystan de la Maison de Laymore. Plus bas, une gravure beaucoup moins officiel rajoute "Trystan le maudit". Sur le mur Nord, on pouvait trouver un heaume Léomorphe fendu en deux, un souvenir des Lannister après leur dernière défaite. Sur le mur Sud, un objet apparement anodin capta l'attention de Flore, un petit morceau de métal, à moitié noirci, dans un coffre en bois flotté.

Ebon commence à répondre en cessant de mâcher :
"Ivory n'en pince pour personne, et elle se méfie vraiment de Thorvald, mais si quelqu'un peut lui tirer les vers du nez, c'est bien elle, n'en déplaise à ton charme très... Percutant, tu finirais peut être dans son lit mais pas dans ses confidences."

La voyant se lever, il ferme la porte et hausse subtilement la voix.

"Mais je voulais te parler de quelque chose d'autre... Enfin si tu arrêtes de fouiller les déchets métalliques..."

Le morceau de métal noirci n'est pas en acier valyrien, c'est de l'argent, la fin d'un motif végétal, une sorte de couronne de lauriers. La finesse du travail exclue une bonne partie des Sept Royaumes comme pouvant en être l'origine. Un inscription donne une laconique description "Epave - Reigne d'Aerys II Targaryen"

En frottant l'argent, elle découvre une inscription, du moins la fin d'une Inscription [..orgulis]

La réponse d'Ebon semble faire un écho exacte aux craintes de Flore...

"Je savais déjà ce que Père comptait faire. Il m'en a parlé il y a des semaines... L'Alliance avec les Greyjoy était la dernière pierre d'un édifice qui devait nous garantir une certaine sérénité... Désormais nous allons être de plus en plus isolés... Ecoute..."

Il se lève de table, essuit sa bouche dans la nappe, les mains, se les lave dans un bol d'eau et vient poser une main sur chaque épaule de sa soeur.

"Notre Père a un mal qui ronge ses os de plus en plus vite. Il risque à chaque instant de se briser comme du verre. Personne ne sait ce qu'il a, à part Khay qui le soigne, du moins qui essaye vainement de le soigner. Il a volontairement décidé de ne pas ébruiter la nouvelle et de ne pas se lancer dans la quête vaine d'une solution. Il voulait que je te l'annonce, lui n'aurait pas pu, pas voulu, il doit rester fort jusqu'au dernier moment... D'ailleurs il ne compte pas mourir ici, il va partir, loin, en abdiquant son pouvoir à son successeur... Il va... Il va falloir apprendre à nous débrouiller sans son ombre bienfaisante soeurette, et plus tôt que nous ne le voudrions..."

Il ramène son visage en face du sien en la tenant par le menton. Sa barbe d'une semaine, ses yeux clairs, sa chevelure en bataille et sa mâchoire bien carrée lui donne l'allure d'un mercenaire, mais elle a confiance en lui.

"Ser Edric est au courant oui, depuis ce matin. Leuwon a toute confiance en lui et en sa garde. Ce sont des hommes de la région, des chevaliers comme on en fait plus avec un réel sens de l'honneur et pas de richesses ou de désirs pour les affaiblir. Concernant Père...En fait il est déjà partis au moment où nous parlons. Marcher le fait horriblement souffrir, il ne veut pas laisser l'image d'un homme faible. Tu... C'était la dernière fois que tu le voyais..."

Elle vole.

Manquant de s'effondrer au premier pas trahie par une flaque de boue, elle envoit valdinguer un vendeur de petit bois au sortir de l'Auberge. Flore ne se retourne pas, mais elle sait déjà qu'Ebon ne la suit pas. En sautant sur le bourrin du vendeur de bois, elle fait tomber deux enfants au sol, le plus petit des deux se met à pleurer, on entend un cri.

Peu importe, Flore bat déjà les flancs du lourds canasson qui démarre aussi vite qu'il peut, fendant de ses sabots lourds et de sa masse effrayante, la foule des petites gens, dans un exercice dont il n'est pas coutumier... Très rapidement, Flore dépasse la place de la fontaine, où la Tour de Garde a été dénudée de ses étendards et de ses gardes. Elle piétine un instant, tourne en rond et remarque les traces de chariots lourds sur la route qui mène vers le Sud. Elle élance sa proéminente monture sur ces traces, traverse un bois et arrive au sommet d'une colline...

Face à face avec Ser Yan Edric, arnaché pour la guerre, sur son meilleur cheval de bataille, lui barrant la route.

Ser Edric secoue la tête, son heaume bouge légèrement et avec tristesse.

"Soit Ser, vous ne me laissez pas le choix."

Flore descend de cheval et attache ses cheveux. Yan lève sa main d'épée vers le ciel, dégainant si vite que pendant un instant la jeune femme se demande s'il va oser la charger alors qu'elle est au sol. Mais il n'en est rien. Alors qu'elle s'apprête à dégainer à son tour, elle reçoit sur la tête et les épaules une masse d'un poids considérable, comme un lourd manteau. Mais en fait de manteau, il s'agit d'un filet de corde dont les extrémités les plus basses sont vivement tirées, faisant chuter la blonde de tout son poids armurés... Sortant de nul part, une bande d'hommes légèrement armés, le visage couvert de boue et les vêtements mélangés de branches et de feuilles, entoure Flore et resserent sans pitié les mailles du filet, lui laissant bientôt à peine de quoi remuer les poignets. Yan fait descendre la colline à son cheval et se place au dessus de Flore. Il enlève son casque. Son air desolé est sincère, mais il semble également soulagé. Alors que la pluie colle sa chevelure à son frond, il s'adresse à Flore.



"Il m'était également interdit de vous faire du mal, j'ai dû improviser au mieux... Vous ne me pardonnerez certainement pas mais jusqu'à ce soir minuit c'est encore votre Père mon suzerain. Il m'a demandé de vous dire de ne pas chercher à le retrouver, vous aurez, plus tard, un moment pour vos adieux. Au passage..." Il désigne les hommes camouflés "... je vous présente votre escorte, ce que le pays a produit de mieux en matière d'éclaireurs, d'espions et de saboteurs. Nul piège Laansidh ne saurait vous atteindre..."