Chapitre VI : La Baie du Canari

Les ablutions terminées, le copieux repas englouti, le crépuscule tombé et même un semblant de familiarité né entre la garde Laymore et les chevaliers Laansidh au fil des verres de vins, la nuit avait finit par venir sur ce surprenant accueil Edric et Ludès, complètement saouls, enchaînent les rires sonores avec Rowena, se remémorant une campagne où manifestement un ennemi commun avait fuit la queue entre les jambes et avait trouvé la mort dans le pire déshonneur (de loin Flore a compris qu'il était question d'une fosse d'aisance mais n'a pas cherché plus loin). C'est en compagnie d'Enora qu'elle passa le plus clair de la soirée. S'étant retirée tôt pendant le repas, Kassya s'était faite excusée. Fatiguée, elle rentrait plus tôt au château Laansidh dont on ne percevait que la Tour de guet qui domainait le port du haut de sa falaise. le reste se trouvant sur l'autre versant. Le temps s'avéra changeant, puisqu'à une belle journée succéda une pluie terriblement lourde, venue des côtes. Dispersant les convives, une partie des notables de la ville avait été invité, qu'Enora garda bien loin de Flore, les décrivant tous comme avides et ennuyeux. Il était de toute façon prévu qu'elle les rencontra, mais plus tard. Pour l'heure, il était temps de prendre pied dans ses appartements. A priori vite remis de leurs abus, Edric, Ludès et leur joyeuse bande, escortaient sans faillir les flancs du Gouverneur de l'île à mesure qu'à cheval, ils gravissaient le chemin traversant la montagne par un passage creusé dans la roche, d'une dizaine de mètres de profondeur tout au plus, mais qui permettait de s'éviter un très long détour pour contourner l’à-pic de la falaise. Protégé par une herse installée dans le tunnel, verrouiller cet accès rendait tout siège du château impossible.

En arrivant de l'autre côté du tunnel, Flore pu constater que le fier passé des Laansidh s'incarnait toujours dans la majesté marmoréenne de son château... Levé à même la roche dont il suit les étagements, sa splendeur n'a d'égale que son impressionnant système défensif. A vu de nez, Flore évalue que toutes les balistes géantes sont neuves en ne voyant aucun signe d'usure de la pierre et aucune tache de poix sur les avancées permettant de manipuler les engins. Ces terrifiantes balistes doivent permettrent d'atteindre des bateaux qui menaceraient le port, bien avant qu'ils n'arrivent à sa portée, et la configuration du château est telle que pour peu qu'il y ait des balistes de tous les cotés, une invasion par les terres, à la végétation extrêmement basse, serait très risquée également, voir suicidaire avec de bons opérateurs. Ayant fort à parier que le château dispose de sa propre source d'eau et qu'il puisse contenir de vastes réserves, sa capture ne pourrait en aucun cas être la résultante d'un fait militaire...



Château Mort-Amère

Dépassé les impressionnantes murailles de pierre, dépassé la barbacane, Flore entre dans une cour complètement hallucinante où les plantes ont recouvert la quasi totalité des murs. On croit marcher sur un tapis de mousse, on sent bien les dalles pourtant, mais même les sabots n'arrivent pas à percer tout à fait l'épais tapis. Une foule de gens vaque à ses occupations. On remarque très vite qu'il y a beaucoup de femmes dans les donneurs d'ordres, et beaucoup d'hommes dans les exécutants. L'essentiel des gens présents semble être des jardiniers, taillants les lierres, l'herbe, vérifiant que rien ne bouge. L'escalier en vis qui aboutit dans la cour, se trouve être soutenu par un arbre formidable, ou peut être a t'il été construit autour ?

Aucune des Laansidh n'est présente, mais une femme brune, au regard légèrement hautain, descend l'escalier d'un pas souple pour venir se présenter à Flore, d'une légère révérence.


Lady Erayne Edric

"Votre Excellence, nous sommes ravis de vous recevoir en votre demeure. Je suis Erayne, l'intendante du château. S'il vous manquait quoi que ce soit, faites moi prévenir et je répondrais à vos moindres désirs." Elle s'incline une nouvelle fois, puis salue Ser Yan " Ravie de vous revoir enfin cousin. Finalement c'est vous qui aviez raison, les Dieux, quels que soient leurs noms, ne laissent jamais une histoire inachevée."

Elle frappe dans ses mains et deux pages en livrée Laansidh s'empressent.

"Pady et Broyne vont vous mener respectivement aux appartements du gouverneur et aux chambres des invités. Votre Excellence, désirez vous que votre garde loge dans le bâtiment des archers ou préférez vous les garder prêts de vous ? "

La sournoiserie de cette question n'échappe à personne. Edric est absorbé par les yeux de velours noirs d'Erayne, et Ludès attend avec impatience la réponse de Flore...

Yan, visiblement vexé, ne fait pas même mine de répliquer. Il prend le message sans dire un mot et s’exécute.

La salle vers laquelle on conduit Flore pour son petit déjeuner est privative. De dimension moyenne, donnant sur une cour intérieur, on y trouve un âtre permettant de rôtir un cerf, une longue table où sont déjà assis trois autres personnes.

photo non contractuelle

A côté de l’omelette poêlée demandée, on trouve un assortiment de poissons séchés, mais aussi des fruits dont un particulier attire l’œil de Flore. Une grosse boule orange à la peau épaisse et rugueuse.



En sus d’Erayne, déjà assise, et qui se lève à l’entrée de Flore, un vieil homme au regard blasé, moustachu et barbu, portant la caractéristique chaîne des Mestres. Son habit est d’un bleu sombre et riche, rehaussé de fils d’or dessinant des arabesques. Il lève à peine les yeux. De l’autre côté, un homme, lui dans le bel âge, au crâne peu velu et portant des vêtements de toile huilée pour les voyages, s’extirpe avec lenteur de son banc pour venir saluer le Gouverneur. D’un geste un peu large, Erayne désigne ses compagnons de table.

« Gouverneur, voici Mestre Gellow et l’Argentier Finn, je me suis permis de les convier afin de répondre à votre besoin d’information. Dame Kassya n’y voit pas d’inconvénient ».


Mestre Gellow

Elle se rassoit ainsi que Finn. Gellow hésite entre deux poissons, opte pour le plus gros morceau qu’il enfourne aussitôt. Finn l’observe, hausse un sourcil soucieux, frotte les doigts de sa main droite les uns contre les autres puis se décide à combler le vide. Cet homme a toujours l’air sérieux et impliqué, quoi qu’il puisse dire. C’est ce que déduit Flore a la façon dont il a saisit son verre pour le remplir de vin, avec cette impression que l’avenir du monde en dépendait.

« Gouverneur, permettez moi de vous souhaiter la bienvenue à Mort-Amère, comme vous pouvez le voir, c’est un excellent moment pour passer le domaine en revue. Votre fonction militaire va avoir de quoi s’exercer, j’en ai peur. Si vous le permettez je vous ferais tout d’abord un rapport concret en vous faisant visiter les défenses du château, je vous détaillerais les ressources, les effectifs, les travaux les plus récents et leurs implications stratégiques. Pour vous donner un avant goût, Dame Kassya a orienté nos forces sur une défense imparable, afin de ne pas recourir à des mercenaires, trop incertains, et parce que faute de bois de qualité il ne nous était pas possible de fabriquer de nouveaux bateaux. S’il est vrai que…Enfin…Disons que ça n’était pas exactement ce qu’avait demandé votre père… Mais… »


Argentier Finn

Gellow l’interrompt en grognant.

« Ce que ce jeune freluquet tente de vous expliquer, c’est que Leuwon avait demandé exactement le contraire ! A savoir privilégier la diplomatie et le rapprochement avec les Greyjoy. Alors que maintenant qu’on leur a construits une île imprenable sous le nez, y’va être difficile d’faire croire qu’on leur y veut du bien ! » Il frappe sur la table d’un poing lourd « Kassya n’en fait qu’à sa tête, pour elle les Fers-Nés c’est juste des sagouins qui r’viennent chaqu’siècles ravager son île ! Elles z’écoutent rien Gouverneur ! Z’allez voir ! Y’a que les P’tites Grises qu’y z’ont un chti peu d’leur oreille ! »

Erayne se colore légèrement, ses joues rosissent, mais elle n’interrompt pas le Mestre. Une fois qu’il décide de noyer son humeur dans une pinte de bière, l’intendante reprend à sa suite, une pointe de colère lisible dans la voix.

« Mestre Gellow est un astronome très apprécié de Dame Kassya et son savoir en la matière est inversement proportionnel à sa connaissances des convenances et des réalités… Les souhaits exprimés par le Seigneur Leuwon correspondaient à des réalités qui ont changées avec le temps, et sa politique de rapprochement n’était pas du tout incompatible avec les mesures prises par Dame Kassya. Notre île est à l’extrême pointe Ouest des Sept Royaumes, juste avant les îles de Fer, Toute flotte qui voudrait soit s’en prendre à la côte sud, soit s’en prendre aux îles de Fer, devrait passer par ici, voir y stagner, Les Laansidh ne comptent pas avoir d’autre maîtres que les Laymore. »



Le ton est monté sur la fin de cette phrase, martelée à l’intention très nette de Mestre Gellow dont le regard s’échappe jusqu’à une miche de pain frais.

Le Mestre vire de couleur pendant que Flore se répand en optimisme miliaire. Ses yeux s'arrondissent de colère et furieux, il se lève, repoussant de sa bedaine la pinte de bière, et une assiette de poisson séché. Sa fureur est telle que venant de cet homme que l'on aurait pu imaginer replet et placide, un tel déchaînement de rage ne manque pas d'effrayer.

"Une épine ? Mais z'êtes fendu du carafon ma pauv'D'moizelle !!! Si les Greyjoy tournent le vent par ici, la mer sera rouge et il ne restera pas une brique debout ! Vous z'aviez déjà vu une guerre ? une vraie ? C't'est pas exaltant la tripaille qui pue en dehors des ventres, les gémissements des z'y soldats qu'les restes y sont si p'tits qu'on savions pas si c'étions le votre ou çui là de vot'ennemi ! Vous venez r'voir les Laansidhs et ils vont montrent les belles forteresses et les beaux jouets, tout y'est beau et erutilant, mais c'qui vous disions pas, c'est qu'y a pas deux jours que Rowena est rentrée au port parce qu'elle a vu plus d'centsnavires de Fer-Nés r'monter vers les îles de Fer ! Et c'était qu'une petite partie de c'qui a la haut. Y va y avoir des parlotes, y va y avoir des bagarres, et à la fin y restera plus qu'un chef au dessus d'tout les autres et qu'ce soit Oeil de Choucas ou Victarion, y z'ont toujours rêver de tout brûler d'ici aux Conflans ! Vous croyez quoi ? Y z"ont toujours voulu prendre les Laansidhs comme femme-sels, y z"ont jurés qu'ils le feraient ! Balon est mort ! tous les traites du bon Leuwon, à la flotte ! C'est pu qu'une question de jours, de semaines au mieux d'savoir quand y vont y venir ici et tout amassacrer ! Soyez pas aussi aveugles que ces Dames, On peut les tenir sur la côté et les réduire en boulllie, mais c't'île là, elle est déjà morte ! Tout le monde est mort ici ! Y font juste semblant d'pas le savoir !!!"

Un silence subit et assez long suit la fin de la diatribe de Mestre Gellow. Si le regard que lui jette Erayne pourrait facilement tuer un oiseau en plein vol, celui de Finn est plus effrayé.