Chapitre I : Mauvais Présage

Novembre 299

La « chambre des réceptions » du château de Laemoran faisait plus mine de salle des trophées que de salle à manger. On pouvait lui reconnaître un très grand confort, le sol étant couvert de peaux en tout genre, de tapis d’origines diverses, tandis que les murs en pierre grossièrement taillée constituant la seconde épaisseur du donjon étaient dissimulés par des tentures sans motifs, assemblages hétéroclites de lainages de toutes les couleurs. Au plafond, rien de moins que le mât d’un boutre se trouvait suspendu et servait lui-même de support à trois grandes lanternes. Mestre Khay avait l’habitude de dire que l’hiver s’arrêterait à la porte de cette pièce tant il y faisait bon et qu’il suffisait donc d’y entasser des vivres et de l’eau de source pour y survivre. Ce trait de bonhommie caractéristique du bon Mestre se trouvait pourtant être l’expression la plus simple de la pensée des gens de la pointe de Fer. Derrière leurs falaises, derrière leurs forêts, derrière leurs montagnes, derrière l’océan, derrières leurs forteresse, ils étaient persuadés qu’aucune armée, aucune guerre, ne pourrait les atteindre.

La mort du Roi Robert n’avait ému personne. La Pointe de Fer se trouvait être une terre qui avait toujours été fidèle aux Targaryen, le règne de Robert, n’avait rien changé à part peut être l’obligation de faire plus de ronds de jambes aux Lannister et de devoir leur rendre sans broncher les otages pris sur le champ de bataille. Le dernier et le plus prestigieux d’entre eux, Finn Lannister, s’était tourné une dernière fois vers son vainqueur, le jeune Leuwon, et avait prononcé la devise informelle de sa famille comme une menace : « Un Lannister paye toujours ses dettes… ». Pour toute réponse, Leuwon, qui était à cheval contrairement à son otage qui repartait chez lui à pied et enchaîné, lui avait décoché un coup de pied dans la mâchoire en lui répliquant : « Les fers-nés ne rendent de compte à personne ».

Cet intéressant échange était devenu mythique dans la région et avait donné lieu à une expression : « Payer ses dettes comme un Leuwon », mais elle avait surtout gonflé d’orgueil les gens du pays et les avait bien soudés autour de leur Seigneur. Ce même seigneur, vingt ans plus tard, avait tout de même fait pendre les impudents qui avaient osés se réjouir publiquement de la mort du Barathéon. Leuwon le détestait, mais il avait du respect pour la couronne, surtout celle dont il tenait son autorité.

De temps à autre, un corbeau venait informer Laemoran de la mort de telle ou telle personne, de l’avancée ou du recul de telle ou telle armée. La Pointe de fer semblait isolée dans sa gange de terre et d’eau, imperméables même à la révolte des Fer-nés et de Balon qui s’était proclamé Roi dès la mort de Robert. La seule crainte venait du sud et des Lannister, mais qui se souciait de quelques mines de sel ?

La vieille alliance avec les Greyjoy était toujours valide, c’est tout ce qu’il restait dans un Royaume où le jeune Roi Joffrey était trop loin et trop occupé pour se soucier de l’allégeance d’un obscur seigneur au bout du monde.

C’est pourquoi Leuwon s’apprêtait à faire élever dans tous les villages et places fortes de son domaine, les étendards des Laymore aux côtés de ceux des Greyjoy, rejoignant le nouveau Roi Balon. Demain, à l’aube, l’allégeance serait totale.

***

Florie est seule dans la chambre des réceptions. Assise dans un grand siège matelassé et couvert d’une fourrure d’ours noir. Celui-là même qu’occupe Leuwon lorsqu’il est présent, mais pour l’heure il est en visite chez les Laansidh aussi personne ne s’offusque de rien. Ebon vérifie quelque chose de militaire chez les Blackstone (ce furent ses propres termes), et Ivory négocie les prix du blé. Florie garde le phare, de toute son officieuse autorité sur des hommes qui ont horreur de voir une femme porter les armes, surtout quand c’est mieux qu’eux. Comme il ne se passe rien, elle peut à loisir se perdre dans la contemplation du formidable feu de cheminée et profiter de la douce chaleur de cette matinée…

Jusqu’à ce que Mestre Khay, entre dans la pièce, avec sur le visage une expression entre l’inquiétude et l’excitation.

« Mon enfant » s’adressa t’il à elle malgré une différence d’âge d’une dizaine d’année rendant impossible toute filiation entre eux, fut elle fictive « Nous allons avoir besoin de toi… Je viens de recevoir un corbeau de Thorvald Dredmore. Il m’informe qu’un vent de panique a soufflé sur ses gens et se répand au fil de l’eau dans la région depuis qu’aux premières lueurs de l’aube a été découvert le corps d’un calamar géant, échoué dans la crique des lances… » Il se massa la mâchoire, cachant un sourire dans sa main. « Je sais ce que tu vas me dire, ça n’est qu’un animal mort… Mais il a mal choisi son jour pour venir s’échouer sur notre sable, il faut trouver une explication satisfaisante et calmer leurs esprits, il est hors de question que le jour d’allégeance aux Roi Balon soit gâché par des rumeurs paysannes. Je ne sais pas comment tu peux t’y prendre, mais… De toute façon il n’y a plus que toi qui ait un quelconque poids dans la Maison Laymore et qui puisse répondre à l’appel de Thorvald. J’ai fait prévenir le Seigneur Leuwon par Corbeau, s’il répond je te tiendrais informée… »

Le sourire de Khay se figea à la dernière remarque de Florie. Il cessa de se masser le visage et tripota machinalement sa chaîne de mestre en détaillant faussement chacun des maillons.
" C'est une personne de la Maison de leur maître dont Thorvald a besoin, quelqu'un qui vienne rappeler à ces braves gens que leur seigneur est là et qu'il ne risquent rien. Tu sous estimes les catastrophes engendrées par la peur des catastrophes. Nous sommes isolés des batailles et nous ne manquons de rien, mais qui saurait dire combien de temps cela va durer ? Combien de temps avant que le Roi Balon ne nous demande des troupes pour attaquer les Tully, les Stark ou les Lannister ? Et ce jour là il nous faudra autre chose que de belles paroles pour calmer les esprits. Alors ne prends pas cette affaire à la légère, sinon tu risquerais de perdre une expérience qui te serait profitable. Rappelle toi que tu as deux fois plus à prouver qu'un homme et que pour la plupart des vassaux de Leuwon, tu vaux à peine mieux que Rowena. Les sept t'ont maudit avec ta beauté, les hommes ne te laisseront jamais en paix...

Il marque une légère pause, regardant Florie par en dessus, avec ce regard de celui qui donne une leçon et qui s'inquiète pour la personne à qui il la donne. "Tu partiras avec les cavaliers, il faut faire vite, tu arriveras à Grinwick d'ici le milieu de l'après-midi, et il te faudra faire forte impression auprès des habitants." S'étant rapproché de la jeune fille mal léchée, il lui pose une main sur l'épaule. Il est assez proche pour qu'elle puisse décelé dans ses yeux une scintillement apeuré... Quelque chose qu'elle ne lui connaîssait pas.

"Je compte sur toi, je compte vraiment sur toi..."

Khay secoue la tête sans que Florie puisse déterminer s'il s'agit de mécontentement ou d'autre chose, mais il n'ajoute rien, il repart déjà en direction du scriptorium. Il doit à peine être neuf heure du matin et le ciel est toujours aussi bleu. De temps à autre on perçoit une langue d'air froid s'insinuer dans les couloirs traversant tous les tissus pour donner un frisson désagréable et saisissant. Elle croise Martin qui est ravit de préparer le cheval de Florie. Martin est le bâtard d'Ebon, il doit avoir dix ou onze ans. Son père ne l'a jamais maltraité, ne l'a jamais renié, il est plus présent avec son fils que ne le serait des pères légitimes. Il a toujours refusé de parler de la mère, et Martin lui même n'en a aucun souvenir. De fait, il semble évident qu'il voue à Florie une affection fraternelle qu'il contient dans un service toujours impeccable.

Moins d'une heure plus tard, Florie monte en selle, Kraken s'installe derrière elle, et elle rejoins dans la cour la totalité de la cavalerie de la Maison Laymore. Vingt chevaliers en armure noircies, aux chevaux solides et bardés de métal, aux heaumes baissés arborant des faciès animaux et agressifs. La jeune femme est choquée par l'équipement des chevaliers. Ils sont entièrement armés pour la guerre, pas pour une patrouille. D'ailleurs, un peu plus loin, leurs écuyers sont également tous en selles, avec du matériel de rechange et de quoi camper. Ils sont armés, eux aussi, ce qui portent la troupe de Florie à une soixantaine de chevaux. Un impressionnant déploiement de forces qui ne manque pas de lui arracher un juron étouffé...

L'un des chevaliers, Ser Yan Edric, enlève son casque et approche son cheval de celui de Florie.

"Ser... Nous sommes prêts à partir sur le champ."

Le chemin est presque agréable car les routes sont sèches, le temps clément et frais sans être froid. les sous bois sont d'un calme rare, mais qui oserait se mettre en travers de la route d'une telle troupe alors qu'on peut l'entendre venir des lieues à la ronde ! Yan Edric trotte un peu derrière Flore, tenant l'étendard des Laymore, une étoile à sept branches d'argent sur fond sable. Les hommes sont calmes, très calmes, ils paradent. les chevaux sont frais, calmes eux aussi, et on entend même quelques rires typiquement masculins dans les rangs. Mais s'agissant de chevaliers, Flore n'a pas le droit aux habituels remarques donnant lieu à de brefs et violents échanges de coups.

Rapidement la troupe parvient jusqu'à Crossings. Sous l'oeil médusé de ceux qui ne sont pas rentrés se cacher, la plus puissante formation du domaine traverse le village. De temps à autre des enfants viennent sur le chemin pour toucher les chevaliers, certains se retrouvent même en selle devant l'un d'entre eux qui a eut la bienveillance de le prendre avec lui le temps du trajet. De quoi donner à raconter pour une vie... Flore a déjà vu ces hommes mais elle n'a jamais chevauché à leurs côtés. Ils émanent d'eux une assurance qui est presque dérangeante. Il y a une forme d'invincibilité qui ressort d'eux. Pourtant leur nombre est négligeable comparé à une armée véritable, et les Laymore avec tous leurs vassaux ne peuvent guère mieux espérer qu'une centaine de chevaliers prêts pour la bataille. Cependant, sur les visages des paysans, des villageois, des artisans, on lit partout une certaine forme de fierté et d'admiration et parfois, Flore surprend un sourire, une larme, un soupir de soulagement... Petit à petit, elle commence à comprendre, surtout lorsque sur la route reliant Crossings à Grinswick, elle se retrouve à défiler le long d'un marché qui regroupe tout ce que la région a de colporteurs. Ser Yan Edric se met au niveau de Ser Flore et lui souffle avec un sourire dévoilé par son heaume relevé : "La Foire du petit chemin... Elle se termine demain et repart dans le sud..."

Les chevaux vont bon train, si bien qu'on estime pouvoir atteindre Grinswick un peu après l'heure du déjeuner... A partir de là, il restera encore deux heures de chevauchée pour rejoindre la Crique des Lances et le petit bastion d'où Thorval Dredmore avait envoyé son message...

Le ciel étire son bleu jusqu'à un mauve léger qui se perd dans la blancheur des nuages. Les chênes s'éparpillent se trouvent remplacer par de somptueux ifs, éloignés les uns des autres et ponctuant une terre probablement défrichée il y a des siècles et laissée ensuite à l'abandon. Dans ce paysage plus épars, la pente se fait légèrement plus raide et l'on distingue bientôt la fumée des cheminées de Grinwich. Le bourg n'est pas négligeable. Ses longues bâtisses aux toits de chaume grisés, aux murs de pierre calcaire, aux petites fenêtres arborant des verres grossiers et épais, une spécialité qui faisait la prospérité des habitants, contrastait complètement avec les pierres sombres et les toitures pointues du sud du domaine. L'exception de Grinwich était d'autant plus flagrante lorsqu'en partant vers l'Est et les terres Dredmore on se retrouvait à traverser des landes balayées par le vent, plus tristes et désolées qu'un repas paysan après de mauvaises récoltes.

Ser Edric revient au niveau de Flore, il relève son heaume et tout en souriant s'adresse à elle sur un ton grave en complète opposition avec son expression.

"Ser; je ne saurais que trop vous recommander de ne pas vous arrêter à Grinwich pour y manger, nous souperons mieux ce soir. Il est important qu'aucun de vos chevaliers ne discute avec les habitants..."

Ce disant, Flore jette instinctivement un regard autour d'elle, s'apercevant que dans la foule venue les voirs, certains visages dénotent clairement des autres, plus bronzés...

Prêtant une attention polie aux exploits sportifs de Kraken, Ser Yan Edric annonce "Pieds à terre" aux autres chevaliers. C'est presque à la sortie de Grinwich, prêt d'un étang, que la longue troupe de cavaliers s'étend et essaime rapidement. Des écuyers montent rapidement une tonnelle de fortune, mais suffisamment agréable pour que l'on puisse y tenir à trois, sur deux sièges tressés d'osiers et renforcés d'armatures en chêne. Une petite table a été disposée, porc séché et raisins constituant le menu. Lorsqu'elle vient s'asseoir, Flore y trouve Yan déjà assit, dégustant des raisins. Il se lève à son arrivée, provoquant un cliquetis incroyable.

"Je vous en prie, j'ai gardé une place pour vous et pour votre animal..."

S'étant rassis, il n'attends pas longtemps avant de se pencher à nouveau vers Flore.

"Nos écuyers sont excellents, j'en ai rarement vu de si dégourdis sur un champ de bataille. Ils sont éduqués, ils savent se battre, et si tous ne sont pas forcément en bonne santé, je peux dire sans mentir qu'ils sont tous sérieux et vaillants... Il est bon de savoir que l'on peut aller se battre tranquille et que l'on saura trouver à son retour les éléments indispensables au repos..."

Il change soudainement de ton.

"Je vous donne du Ser parce que tous ici nous respectons notre Seigneur et reconnaissont, même si parfois cela arrache la langue, vos indéniables compétences guerrières, cependant... Vous savez que rien ne nous y oblige. Mais par courtoisie, nous le faisons quand même... Aussi, je vous demanderais de... De bien vouloir faire preuve d'une égale courtoisie envers ces braves gens effrayés par le corps d'un animal mort... C'est un signe pour eux, beaucoup sont encore pétris de croyances anciennes, et les septons ne les aident pas beaucoup à s'en éloigner en leur en fourrant d'autres dans le crâne. Il faut les apaiser, pas les détromper."

Yan la regarde un instant qui paraît long, estimant Flore de ses yeux acérés. Son regard finit même par la gêner quoi qu'il n'ait rien de tendancieux. Tout le monde semble inquiet autour de Flore, c'est énervant... Il rompt soudain son silence, attrapant le bras droit de Flore avec la vivacité d'un serpent, un geste d'une rapidité désarmante tant cet homme semble lourdement armuré. Son visage mal rasé quoi qu'avenant se rapproche dangereusement de celui de la jeune fille, ses pupilles noires sont grandes ouvertes, sa voix plonge dans les graves d'un murmure lourd de confidences...

"Soit, vous voulez être traitée en "adulte", je vais donc vous traiter en chevalier et non en donzelle légère... Ce déplacement n'a rien d'une improvisation, Khay n'est pas au courant de toute l'affaire, juste qu'en cas de visite vers l'Est, il devrait convoquer la cavalerie, mais il ne sait pas pourquoi. Vous en saurez bien plus que lui d'ici quelques secondes."

Son haleine sent l'hydromel, mais il n'a pas l'air saoul du tout.

"Des rumeurs persistantes font état d'une possible trahison des Dredmore. Quoi que Leuwon n'en croit pas un mot il pense qu'il n'y a pas de fumée sans feu, notamment avec tous ces dorniens dans la région... Il ne veut pas remettre en doute la loyauté de Thorvald et de ses frères, mais il autorise ses gens à douter pour lui. Cette histoire de poulpe géant trouvé mort la veille d'un jour d'allégeance n'a rien d'anodine. Il était question d'utiliser votre beauté pour amadouer les petites gens pendant que je jaugerais la mesure du malaise provoquée chez Thorvald par ce déploiement de force aux portes de son domaine. Au cas où les Dredmore soient vraiment des traîtres, capturer un membre de la Maison Laymore sans coup férir aurait changé la donne avant même que quiconque ne tire l'épée. C'est désormais impossible avec l'escorte dont vous disposez, aucune embuscade ne pourrait nous vaincre..."

D'un geste large il désigne les cavaliers affairés à prendre une légère collation.

"Voilà, vous savez tout, Ser. Désormais je vous transfère implicitement la bonne tenue de cette entrevue avec ses diverses implications, et remet ma confiance entre vos mains...

La troupe se remet en marche. Le paysage se clarifie au fur et à mesure que l'on se rapproche de la mer. Les mouettes et les Goélands se partagent le ciel bien avant que la première lampée de mer ne soit à portée de vue, puis soudain, après avoir contourné une plaque de granit plantée dans la colline, arrive l'Océan...




Les embruns giflent littéralement les cavaliers, tout autant que le son du ressac. Le ciel, au loin, n'est pas dégagé, des nuages gris, voir noir, venus du Nord-Ouest, roulent et avancent vers la côte, portés par un vent qui déjà pousse de grandes vagues contre les "Lances"... Ces formations rocheuses en forme de pointe qui interdisent de grandes manoeuvres dans la crique sous peine de venir se déchirer la coque contre elles.

En suivant plusieurs paliers, on peut descendre jusqu'à la plage où un regroupement formidable de personnes attend Flore et ses cavaliers. Vu des hauteurs, ce sont presque trois à quatre cent personnes de tous les horizons qui entourent le corps inanimé et pourrissant du plus grand des calamars géant jamais envisagé par la jeune fille. Se retournant vers Edric, elle peut constater que lui aussi reste éberlué par la taille formidable de l'animal dont le corps est déjà aussi grand qu'un boutre et dont les tentacules disparaissent peu à peu dans l'écume. Un silence de mort s'abat sur les chevaliers.

en contrebas, tout autour du corps, des septons et des acolytes semblent partis dans une joute verbale animée contre des hommes aux cheveux longs, les tresses mêlées d'algues étranges. La foule semble inspirer et expirer, outre humaine douée d'une vie propre. Perdu dans ses pensées, elle est soudain rappelée à la réalité par les bruits de sabots d'un puissant destrier sur la lande rocheuse. Flanqué d'un cavalier portant l'étendard gris frappé d'un crâne ricanant des Dredmore, Thorvald fait son apparition sur le chemin venant de l'Est.

Les chevaliers se sont alignés face à l'Océan de façon naturelle pour pouvoir tous voir le monstre, suivit à quelques mètres en arrière par leurs écuyers. Thorvald tire sur les rennes de son cheval et se retrouve face à Flore, appuyée de tout son charme sur la plus impressionnante force armée vue dans cette partie du domaine depuis longtemps.

Thorvald est un homme d'une formidable constitution, pas seulement parce qu'il est fort comme un taureau, mais surtout parce qu'il est réputé ne jamais avoir été malade et être insensible au poison (d'ailleurs, comme il n'a jamais été empoisonné, c'est bien que c'est vrai, disent les gens du coin). Depuis la mort de son père, c'est lui le nouveau Seigneur de Dredmore, et alors qu'il s'adresse à elle enlèvant son casque à cornes pour révéler une crinière blonde et des yeux bleus océan encadrant une mâchoire carrée ornée d'un parfait mal taillé, Flore se demande si Thorvald lui-même est au courant de sa potentielle trahison tant sa voix exprime un amusement... Viril. Il s'approche au plus prêt de Flore, toujours à cheval, et s'adresse à elle avec un large sourire.

"Dame Flore"' entame t'il, visiblement persuadé d'être poli, "J'étais pourtant certain d'avoir spécifié que le poulpe était mort ?! Khay n'a pas réussit à lire mes pattes de mouche ? A dire vrai j'attendais n'importe qui, peu m'importe... Enfin je suis ravi que ce soit vous Dame Flore, mais là je ne sais plus quoi faire, les curetons se tirent la bourre pour savoir à qui est le cadavre, les gens paniquent, ils parlent de l'Hiver, de la fin des temps... J'en ai même entendu un dire que c'était que le bébé et que la mère allait bientôt venir le venger !"

Il étouffe un rire dans la paume de sa main.

"Pardonnez moi Dame Flore, au début ça me faisait vraiment rire, mais là ça tourne à la panique, je n'ai pas assez de soldats pour contenir les débordements d'une bande d'illuminés qui piaillent autour d'un fruit de mer échoué, c'est bien que vous ayez amenés votre escorte, ça va vite les calmer je pense... Enfin j'espère, je ne voudrais pas avoir à tirer l'épée contre ces culs-terreux, ils sont idiots, mais ils ne sont pas méchants."

Ser Yan Edric qui est arrivé au niveau de Thorval et Flore pendant que le Seigneur de Dredmore parlait, est effaré par ses propos. Il lance à Flore un regard qui semble dire "et maintenant ?"

L'idée de la cuve d'alcool provoqua un nouveau rire de Thorvald, alors que Yan s'enfonçait définitivement dans un mutisme circonspect. Les chevaux se mirent en marche lentement, progressivement, suivant le chemin menant jusqu'à la plage. Après avoir accroché son casque à une lanière de sa selle, Thorvald, tendant une flasque à Flore, répond aux questions de l'envoyée des Laymore.

"Le malheur c'est que tout est prêt, j'ai réquisitionné des pécheurs pour traîner la carcasse jusqu'en haute mer, c'est une aubaine comme appât. Mais ces fichus curetons hurlent au blasphème, ceux des Sept comme ceux du Dieu Noyé d'ailleurs, alors les gens prennent parti, ça s'échauffe plus vite qu'au mariage d'une putain et ils en viennent aux mains. Me demande si on ferait pas mieux de la laisser pourrir ici, au bout de quelques jours y'aurait vite plus personne autour du machin..."

A dire vrai, l'odeur était déjà excessivement forte et pénible...Arrivé à la dernière boucle du chemin,, le vent porta les effluves de la carcasse maritime. D'une couleur blanche à brûne, la créature provoquait de prime abord un sentiment de rejet de par l'impossibilité de sa taille. Flore songea un instant que ses ancêtres avaient vécu dans un monde où les Dragons faisaient partis intégrantes du paysage, en comparaison ce poulpe géant faisait mine de poids plume. Cette pensée lui donna un instant de vertige qui ne se vit pas. Depuis qu'ils étaient apparus sur le haut de la crique, les cavaliers avaient attirés tous les regards, le silence s'était fait lorsqu'ils arrivèrent, accompagnant Thorvald. C'est ce moment que choisit Ser Yan Edric pour déployer la bannière des Laymore, ayant profité de la peur en arrivant sans couleurs, il tourne l'intensité de l'instant à son avantage en rassurant tout le monde d'un coup. Surgissant hors de la foule, un homme d'une trentaine d'année à la dentition éparse soulignée par un sourire niais, saute par dessus un rocher pour se précipiter sur Flore, un poisson de belle taille dans les bras.

A peu prêt en même temps, l'homme au poisson manque d'être embroché par une lance et une épée. Sans se concerter le moins du monde, au point qu'ils sont à deux doigts de se heurter de flanc, Yan et Thorvald on talonné sec leurs montures pour d'un bond être sur "l'assaillant". Néanmoins nullement gêné par la petite goutte de sang qui coule le long de son cou d'avoir été trop chaleureux avec l'une des lames pointé sur sa gorge, l'homme au poisson reste souriant.

"Personne ne t'a invité à t'approcher si prêt !" Tonne Edric alors que Thorvald donne du "Recule Pouilleux !"

Profitant de "l'incident", les chevaliers, et leurs suivants, comme un seul homme, dépassent Flore sur les côtés et s'enfoncent profondément dans la foule, traçant un sillon de par le respect qui leur est dû. Il pénètrent sur la plage dont les galets ne constituent pas le terrain privilégié de la cavalerie lourde, mais cependant, encadrent rapidement la créature faisant reculer de leur seule présence les badauds.

L'un des prêtres du Dieu Noyé, un homme jeune aux cheveux auburns tressés de longues nattes, est le seul qui ose se moquer des chevaliers, et ne s'écarte pas de la bête morte.



Rogen, prêtre du Dieu Noyé

C'était bien un cadeau. Et cette superbe Dorade fera un repas de choix une fois cuisinée comme il se doit. Edric et Thorvald s'écartent alors, Thorvald met pieds à terre et alors que Flore s'éloigne, elle peut entendre le Dredmore sermonner vertement et dans un langage peu châtié, le pauvre idiot, mais sans toutefois le menacer physiquement. La foule s'écarte sur son passage et cette sensation de puissance et de respect qui se dégage d'elle au travers de la réaction des gens a clairement une influence sur sa façon de gérer la situation. Elle est toute puissante pendant ce bref instant.

Pourtant, le Prêtre du dieu Noyé lui, ne semble pas intimidé le moins du monde. Et c'est dos à la mer, comme si elle constituait un pendant à l'escorte de Flore, qu'il se redresse pour répondre à l'envoyée de Leuwon avec un sourire juste assez peu marqué pour avoir l'air vraiment sournois.

"Ser Flore...Recevez mes respects chevaliers... Je suis Rogen, prêtre du Dieu Noyé, ce qui en soit suffit à prouver à tout esprit sain que je n'ai pas d'ambition personnelle." Ses yeux brillent d'une terrible assurance, une partie de la foule soutient cet homme, c'est presque palpable, l'autre le hait visiblement, des clameurs s'élèvent des derniers rangs et les chevaliers imposent le silence en levant leurs lances vers le ciel. Rogen poursuit : " Cette bête doit être renvoyée à l'Océan il n'y a en celà rien de blasphématoire, mais elle ne peut pas servir de nourriture pour attirer des poissons dont la chair serait ensuite consommée. Cet animal est sacré, sa chair est sacrée, voyez sa taille Ser, il n'est pas de notre monde !... Mais il est bien plus qu'un animal sacré, c'est un signe, un présage, un mauvais présage..." Ceux qui l'aiment comme ceux qui le haïssent se font alors attentifs et silencieux. Le charisme du jeune homme, sa voix habituée à porter au dessus des sons de l'Océan, porte loin dans la crique dont l’acoustique ne lui est visiblement pas inconnue. "Là bas, au loin, vers le Nord-Ouest, on peut voir la Terrible tempête... Le Dieu des Airs est en guerre contre le Dieu Noyé, et cet animal là n'est qu'un avertissement du Dieu Noyés pour ses fidèles : Il va perdre cette guerre, et tous ceux qui le suivent la perdront aussi..." Rogen s'avance vers Flore et vers son cheval, l'intensité de son regard, sa présence, est si forte, qu'instinctivement, la monture de Flore... Recule... "Malheur a celui qui serait allié à la Maison des Greyjoy, car il chutera avec elle".

La phrase est accueillie comme une pluie glacée, les dernières syllabes se répercutent en écho.

Ignorant les discussions des êtres humains, Kraken se glisse le long de la cuisse du cheval sur lequel il était juché et se glisse entre les jambes des badauds, provoquant ici ou là quelques hurlements de terreur et la joie des enfants qui se mettent à le suivre. A l'aise sur ce terrain qui lui est propice, il longe la ligne de cavaliers et les contourne à la frontière de l'eau et des galets. Il disparait soudain entre deux replis de chair de la fantastique créature.

La foule a l'air plus réceptive à la fin du monde que ne l'est Flore. Edric se rapprochait de cette dernière, certainement d'ailleurs pour lui prodiguer un conseil. Rogen ne pipe pas mot, il s'incline, visiblement satisfait de ce qu'il a entendu. D'autant plus que surgissant à son tour des rangs de derrière, un Septon saisit le jeune prêtre du Dieu Noyé par le col et commence à le secouer dans tous les sens en l'accusant d'hérésie, de prêtre obsolète et de voleur de signe divin. Mais Flore est déjà partie à la suite de Kraken, s'en suit une belle pagaille.

Thorvald assomme tout ce qui passe sur son chemin alors qu'il essaye de rejoindre son cheval, l'aile Ouest des chevaliers tente de libérer l'espace autour de Flore alors que l'aile Est change son alignement pour tenter de séparer les partisans du Septon des partisans du Rogen, Au moment où Ser Yan Edric plante sa lance dans la jambe d'un badaud refusant d'obtempérer, Flore, profitant de l'espace dégagé par son escorte, retrouve l'endroit où Kraken s'est faufilé, c'est d'ailleurs par là que se sont regroupés les enfants, apeurés par le vent de panique. L'arrivé de Flore les émerveille autant qu'elle leur fait peur, mais le plus petit d'entre eux, un sauvageon tout sale mais avec des yeux aussi bleus que ceux de Thorvald, lui indique quelque chose avec malice.

Là dans le flanc de la bête, une large fente se dessine dans la chair d'où s'écoulent des fluides et d'étranges organes. On peut voir la peau se soulever frénétiquement à l'endroit où très probablement Kraken est entré dans la plaie pour y faire on ne sait quoi...