Chapitre IV : Hésitation

La vieille ne semble pas répondre directement à Flore. Elle se relève et enlève du feu le couvercle du chaudron qui y boue. Elle prend une cuillère du liquide verdâtre et le verse dans une écuelle, elle y rajoute une pâte étrange aux odeurs de fleurs. Sa main brûlée qui fume encore, ne semble pas lui arracher de douleur, ou du moins pas assez pour briser sa concentration. Elle se met à genoux devant Langres et entreprend d'enlever doucement le bandage et d'y appliquer la mixture... C'est pendant l'application qu'elle répond au chevalier alors que Martin est de plus en plus muet et que Kraken s'endort...

"La Hag n'est pas folle, non, pas folle du tout... Toujours fidèle à mon Roi, toujours, toujours fidèle au sang de mon Roi, même à quelques gouttes du sang de mon Roi... Sais tu qui est ta mère jeune fille ? Si tu es gravide, en t'unissant à ton frère tu pourras concevoir un enfant plus pur...Oh pas aussi pur que les derniers enfants, mais assez pur pour effrayer les ennemis de ta lignée... Un enfant peut terroriser les puissants, la rumeur même de sa création... Je ne t'ai rien fait Chevalier, c'est le destin qui joue à cache cache en venant perdre dans ce coin boueux les vestiges de la gloire d'antan... Tu n'échapperas pas cependant aux vieilles querelles... Ils sont venus le chercher lui -elle désigne Langres- ils viendront te chercher aussi, et cela n'arrêtera jamais..."

Martin écarte les bras comme une petite araignée.

« Dame à qui donc racont’rais’je ce qui se passe entre une vieille folle, un Prince des Bois immortel et un lézard qui fait peur aux gens ! Pour sûr on m’pendrais par les tripes jusqu’à m’vider les boyaux ! »

La Hag ricane en terminant de passer sa pâte odorante sur la plaie de Langres. Ses paupières cillent… Ses lèvres tremblent, comme pour formuler des mots à peine esquissés.

« Le petit a de la sagesse » dit-elle sans lâcher son travail des yeux, d’une voix appaisée, calme, plus profonde, presque plus jeune » …Mais Dame, vous en manquez encore un peu… Le sang est une valeur plus sûr que l’or, mais une valeur qui effraie et coûte cher à celui qui le possède et ne peut s’en défaire. Certains se sont mis en tête de traquer jusqu’à la moindre trace de sang Targaryen, même des traces lointaines, pour ne laisser aucune chance à la moindre résurgence d’un prétendant éloigné… Je n’ai pas appris mes secrets de n’importe quelle folle courant nue dans les bois jeune fille, non… Je les tiens de mon grand-père qui était lui-même membre de la Maison du Dragon… Votre blessé, et vous-même, m’êtes un grand cadeau et une terrible malédiction… Car si ceux qui ne manqueront pas de vous traquer vous suivent jusqu’ici, ils risquent de me trouver et de me connaître pour ce que je suis. D’un autre côté, j’ai presque l’impression de prendre le thé avec mes petits enfants. Hé hé hé… Quelle folle journée… Aussi, le moindre bâtard prend une folle valeur aux yeux de tous ceux qui pour justifier leurs ambitions ont besoin d’un prétexte ancien, des oripeaux du passé pour se révolter en s’habillant d’une gloire qui n’est pas la leur… Ils ne nous lâcheront jamais… Nous devrons nous terrer jusqu’à la fin de notre vie ou… Faire face et mourir. »

Elle s’arrête pour regarder son patient. Désormais ses bras bougent, ses jambes aussi, d’abord sans coordination puis lentement avec un peu plus de logique. La Hag sourit, bienveillante et s’adresse à Langres.

« Mon Seigneur n’a pas à se plaindre de la vieille Hag, je vous ai sauvé, comme quand vous étiez petit… »